Nous sommes des soignants, de retour de Gaza au cours des 8 derniers mois,

ayant constaté de nos propres yeux l’innommable, ayant entendu le vacarme de la terreur constante et aveugle contre les civils, ayant au quotidien des récits de soignants sur la catastrophe humaine en cours . Depuis nos retours, nous témoignons, interpellons, communiquons, auprès des politiques, médias et citoyens qui acceptent de nous rencontrer…

Parlementaires européens et français, sénateurs, diplomates, commission des affaires étrangères de l’assemblée, politiques de gauche et du centre, médias écrits, audio visuels, citoyens…

Nous avons organisé 80 rencontres publiques, 20 rencontres politiques, 100 rencontres médias sur ces 8 derniers mois, sans malheureusement impacter positivement le débat public et les prises de positions politiques.

La narration unique proposée par le gouvernement israélien, soutenu par l’extrême droite, n’est qu’exceptionnellement soumise à une analyse critique et ne reflète pas ce qui passe au sein de nombreux pays.

De nombreuses personnes, associations et collectifs dans la communauté juive décrivent l’occupation en cours :

• comme une guerre coloniale, servant des intérêts particuliers;
• n’ayant rien à voir avec de l’anti sémitisme,
• invoquant celui-ci, à tort, est une offense et une blessure pour nombre de ceux qui ont en leur chair les blessures gravées de la Shoa.

Nous témoignons car cela est notre devoir de soignant

Devoir de ne pas se satisfaire de panser une plaie, d’opérer un patient, de diagnostiquer et traiter sans s’attacher à comprendre ce qui provoque le mal, la souffrance.
Devoir de tenter de prévenir ou d’agir sur ce qui en est la cause, sans prendre partie, en tenant compte de la valeur identique de chaque humain, dans une démarche éthique, fidèle à notre déontologie et à nos serments.

Nous témoignons aussi car les soignants et les patients de Gaza et de Cisjordanie, avec qui nous travaillons, nous le demandent.
« Merci de venir nous aider, mais merci de repartir dans vos pays, en Europe et aux Etats Unis, pour que le droit international et le droit humanitaire, dont le défaut d’application est responsable de la situation en territoire Palestinien depuis tant de décennies, soit enfin respecté ».
Pour que le silence et l’hypocrisie qui sont co-responsables du désastre humain sur place laissent place à des prises de positions courageuses, respectueuses du désir de vivre en paix, libre et autonome, de chaque côté des murs de la honte, inopérants et totalement contre productifs.

Aujourd’hui nous sommes en colère

Colère de voir nos collègues et amis tués comme victimes collatérales ou ciblées, détenus, comme 179 d’entre eux à ce jour, sans autre motif que celui de ne pas vouloir abandonner ses patients.
Colère de voir que les patients n’ont pas accès aux soins, 34 des 38 hôpitaux ayant été détruits ou mis hors d’usage, ainsi que la plus grande partie des centres de santé.

Colère de voir que les patients n’ont pas accès aux soins et la sortie des blessés graves ne pouvant être soignés sur place, sous contrôle de forces d’occupation, qui restreignent tout passage, sur le seul point de passage ouvert, et participe à affamer et assoiffer une population civile à bout, aux yeux de tous, nul ne pouvant ne pas savoir ce qui se passe.
Colère d’une hypocrisie insoutenable, qui freine les combats le temps de faire boire un vaccin contre la poliomyélite, à des enfants affamés, terrorisés, épuisés, pour les protéger d’un risque qu’ils ne verront possiblement pas, bombardements aveugles, snipers, dénutrition, et diarrhées infectieuses en tuant quotidiennement, comme depuis 11 mois.

Refusant de céder à la colère sous forme d’une violence exprimée ou dans une résignation silencieuse complice, nous continuons avec des soignants et citoyens du monde entier, à nous tenir debout à côté de ceux qui souffrent du non respect du droit humanitaire et du droit international.

Une invitation pour que les citoyens, citoyennes et corps médical agissent ensemble,

C’est à ce titre que nous vous proposons d’interpeller avec nous les membres du conseil de sécurité de l'ONU pour demander l’ouverture temporaire d’un corridor humanitaire .
Cette proposition ne doit en aucune manière interférer avec le processus d’auto détermination du peuple palestinien, et la perspective d’une solution politique acceptée par les états de Palestine et d’Israël, première étape nécessaire à l’intervention du Conseil de sécurité de l’ONU.

Le corridor de Philadelphie, couloir de « l’amour fraternel” (zone tampon de 14 km de long à la frontière entre l’Egypte et le territoire palestinien de Gaza) mise en place en 1978 après les accords de camp David, est occupé depuis le 7 mai 2024 par les forces armées israéliennes, en violation flagrante du droit international.

Cette appropriation limite de manière drastique et inhumaine l’arrivée quotidienne de centaines de camions permettant la survie et les soins sur ce territoire occupé.

Le refus du gouvernement israélien d’évacuer le corridor de Philadelphie lors des négociations en cours n’est pas recevable, pour nous soignants de retour de Gaza pour certains et pour nous, citoyens soucieux du respect du droit et de la liberté de chacune et chacun à vivre dignement, sur son territoire.

Nous exigeons, à l’instar de l’ONU et de l’OMS, non seulement qu’un “cessez le feu” immédiat et permanent soit mis en place, mais également qu’au minimum, le corridor de Philadelphie redevienne immédiatement une zone tampon permettant :

• D'une part, l’entrée non limitative des médicaments, des dispositifs médicaux, des équipes soignantes, comme des denrées nécessaires pour la survie de 2.3 millions de civils sur un territoire dévasté.
• D'autre part, l’accès aux soins adaptés dans les hôpitaux à l’étranger de 10 000 patients graves ne pouvant être soignés dans les 4 hôpitaux encore fonctionnels sur les 38 préalablement existants.

Le secrétaire général des Nations Unies est en mesure, dans les plus brefs délais, sous réserve de l’accord des parties engagées, de mandater une mission d’évaluation technique afin de faire valider la mise en place temporaire d’une force de maintien de la Paix des Nations Unies dans le corridor de Philadelphie.

Un veto des USA au conseil de sécurité ne pourrait être éthiquement recevable en regard de la situation dramatique que personne ne saurait ignorer.

Lorsque "droit de se défendre" sans limites, et "guerre éthique" sont invoqués pour tout justifier, nous soignants et citoyens, actons que défendre le droit et son application pour tous, sans discrimination est une position conforme à notre conscience et à l’éthique. Ethique d’un vivre ensemble auquel chacune et chaque palestinien, israélien et de tout autre nationalité, a le droit.

Agissons ensemble

Si vous partagez cette invitation au vivre ensemble, au-delà des murs qui ne font que générer méconnaissance, peur et rejet, nous vous invitons à participer et transmettre cette interpellation, aux personnes suivantes qui ont la responsabilité et le devoir d'agir, et de porter ces valeurs humaines auxquelles nous tenons tant.

Signé

Imane MAARIFI, Khaled BENBOUTRIF, Raphael PITTI, Christophe OBERLIN, Zouhair LAHNA, Mohamed ABARGUISS, Samyr ADDOU, Chems Eddine BOUCHAKOUR, Youssef BOUABDALLAH, Baraa ZUHAILI, Hicham EL GHAOUI, Christophe DENANTES, Mohamed AL SHAREEF, Abdullah BROWN, Mohamed ELFAR,Yahia SHEIKH, Pascal ANDRE Infirmière, médecin urgentiste, anesthésiste-réanimateur et spécialiste de médecine de guerre, chirurgien orthopédique,gynécologue-obstétricien, chirurgien vasculaire, chirurgien orthopédique, anesthésiste-réanimateur, chirurgien pédiatrique, chirurgien vasculaire, urgentiste, anesthésiste-réanimateur, neurochirurgien pédiatrique, anesthésiste-réanimateur,chirurgien plasticien, généraliste, infectiologue-urgentiste. Soignants de France, d'Algérie, du Maroc, de Suisse et des États-Unis, récemment rentrés de Gaza.